titre

Irène Reymond

Irène Reymond (1902-1998), neuvième enfant d’une famille qui en comptait dix dont trois décédés en bas âge,  est née au Brassus à la vallée de Joux dans une famille vouée simultanément à l'élevage bovin et à l'horlogerie. Son père Jules Reymond, né dans une famille de paysans horlogers, est un paysan, ouvrier et inventeur qui crée en 1907 une petite entreprise familiale à Lucens dans le canton de Vaud, bourgade déjà très importante dans l'industrie des pierres fines où ses filles aînées travaillent comme ouvrières. L'entreprise, qui produit des aiguilles pour gramophones, des pièces pour l'industrie électronique et l'usinage du métal dur et fabrique des glaces saphir pour verres de montres devient un établissement important : 50 employés en 1914 et jusqu’à 200 ouvrières dans les années 1960. Il sera repris par son fils unique. 

Après ses études dans la Broye, Irène Reymond part apprendre l’allemand Outre-Sarine et suit les cours de l’École de Commerce de Berne. Tout en dessinant et s’essayant à la peinture, elle devient maîtresse de cours au Château de Marnand, un institut pour jeunes filles à une dizaine de kilomètres de Lucens et prend des cours avec le peintre Louis Curtat. On la retrouve en Italie contemplant les œuvres des grands maîtres à Florence, Rome et Naples et s’émerveillant de la beauté des temples grecs en Sicile. Toutes ces découvertes et ces émotions confirment sa vocation : elle sera artiste et rien d’autre. "On ne peint pas pour peindre… on peint parce que c’est nécessaire” . Après s’être fiancée avec un photographe et avoir rompu 10 jours avant leur mariage, elle part faire ses classes artistiques à Paris en 1928 : École d’Art de la ville de Paris, Académie de la Grande-Chaumière sous la houlette d’André Lhote et Fernand Léger et Académie Ranson. Elle se lie d’amitié avec Sonia et Robert Delaunay.

Partageant son temps entre Lucens et Paris, elle expose seule ou en groupe dans des galeries à Paris : Jeanne Bucher, Lucy Krohg, Galerie Breteau en 1948 où elle expose avec Marcelle Cahn et Étienne Béothy, Galerie Barbizon en 1963, et en Suisse : Galerie Bollag en 1944, galerie Numaga à Auvernier et librairie-galerie Melisa à Lausanne, haut-lieu de la vie littéraire et artistique de Suisse romande, tenue par Roger-Jean Ségala ; ainsi que dans des musées (Le Louvre, le musée d'Art et d'Industrie de Saint-Étienne) et des salons (Salon des réalités nouvelles et Salon des indépendants à Paris). Excepté pendant la guerre et les vacances d'été, elle vit à Paris. En 1981, elle quitte définitivement la capitale française, estimant qu'« elle n'est plus assez bien pour y vivre ». Il faut dire qu'au 158 de la rue Saint-Jacques en face de la Sorbonne, où elle a passé ses quarante dernières années parisiennes, elle habitait un 6e étage sans ascenseur. Elle s'installe alors dans son petit atelier de Lucens, en face de la maison familiale.

Principales expositions personnelles : Guilde du livre, Lausanne 1942, Galerie Bollag, Lausanne 1944, Galerie Lucy Krohg, Paris 1948, Salon des Indépendants, Paris Galerie de Barbizon, Paris 1963,  Galerie de la Cathédrale, Fribourg 1975, Galerie Cinq, Lausanne 1976, Galerie Melisa, Lausanne 1977 et 1981, Galerie Kohler, Château de Lucens, 1980, Galerie Numaga, Auvernier 1983. 

Principales expositions de groupes : Galerie Raspail Paris, Galerie Bonaparte Paris, Galerie Jeanne Bucher Paris, 1938. Galerie Breteau, Paris, 1948, Salon des Réalités Nouvelles Paris, 1950, Salon des Indépendants Paris, 50 ans de collages, Musée de Saint-Étienne et Musée du Louvre 1964.

En 1983, soit quinze ans avant son décès, Irène Reymond décide de créer une fondation qui porte son nom et lui lègue la totalité de ses biens. Celle-ci est créée devant notaire en 1984 et se donne pour mission de soutenir des artistes romands ou vivant en Suisse romande.

plus d'information sur la page Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Irène_Reymond

Les jardins de papier d’Irène

La modestie et la discrétion étaient ses plus grands défauts. Aujourd’hui, c’est comme si les collages d’Irène Reymond avaient éparpillé leurs petits papiers dans le vent de l’oubli. Seule ou en groupe, elle a exposé pourtant, et dans des galeries (Jeanne Bucher à Paris, Numaga à Auvernier), des musées (le Louvre ou Saint-Etienne) et des salons (des Réalités et des Indépendants à Paris) qui comptent. Mais qui se souvient encore de la dame menue, souriante et frémissante qui partageait son temps entre Lucens, la bourgade de son enfance, et Paris où elle avait fait ses classes artistiques à l’Ecole des Beaux-Arts et à l’académie de la Grande-Chaumière sous la houlette d’André Lhote, Léger et Ranson? Et qui a encore en mémoire son œuvre à deux versants elle aussi: la peinture et le collage? Son nom perdure à travers la fondation qui le porte et les prix généreux qu’elle attribue aux jeunes artistes, mais il était grand temps que l’on redécouvre l’œuvre qui semble presque se cacher derrière eux.

Peinture ou collage? Le choix est vite fait, c’est à ses petits jardins de papier qu’Irène Reymond a donné le meilleur d’elle-même. Au pinceau, elle n’a jamais pu se déprendre tout à fait de l’influence d’André Lhote. Avec ses ciseaux et son tube de colle en revanche, elle a trouvé un ton qui n’appartient qu’à elle. C’est peut-être aussi pour cela que l’histoire s’est montrée injuste à son égard: dans une hiérarchie des arts parfaitement obsolète mais qui pesait encore de tout son poids (elle était née deux ans après le XXe siècle), le collage faisait figure de genre mineur par rapport à la peinture, quand bien même les plus grands lui avaient donné ses lettres de noblesse.

C’est donc avec ses papiers d’emballage ou de tapisserie, de journaux ou de magazines illustrés qu’Irène Reymond «peignait» le mieux. En découpant ou déchirant directement la forme dans la couleur, et en gardant le hasard pour complice et la nécessité plastique pour guide. Sur le mode intimiste, ses microcosmes de papier suscitent la rencontre étonnée de la concentration extrême et de l’improvisation impatiente, de la rigueur et la liberté, de la fraîcheur inventive et la composition savante. C’est sur le vif que l’aventure se cherchait et se trouvait, se reperdait, s’éparpillait et se reprenait en mains. Et dans des tonalités délicates et raffinées, mais sans mièvrerie aucune, qu’elle joue sa musique de chambre. Sous le signe de la grâce et de la poésie.

Françoise Jaunin