Evolution et permanence, quelques questions sur un ensemble constitué
A regarder d’un peu près ces cinquante-trois lauréats, ces vingt ans passés, j’en viens à me demander ce qui fait que cela forme un tout, que cela ait un sens, qu’on puisse en suivre les grandes lignes et qu’une quelconque image de l’art et des artistes se mette en place là, sous nos yeux, dans une publication ou dans un musée? L’intelligence des gens qui le font sans doute, mais cela ne suffit pas, leur diversité bien sûr, leur intuition en tout cas. Je peux, quand je regarde ces œuvres, voir passer le temps et son immobilisme. Tout cela a changé et tout reste semblable.
L’image même de l’artiste me renseigne, son contact, son aspect, sa sympathie, sa réserve, son lieu de travail. Je suis familier ou surpris, étonné, parfois choqué, surtout si je reste dans les apparences, en surface. Je sais que je ne dois chercher que cette intensité qui est la marque, invisible et légère parfois, d’une nécessité qui ne peut être qu’intérieure. J’en viens à me demander qu’est-ce qui peut bien y avoir de différent entre ce que l’on appelle la peinture-peinture des années quatre-vingt, et celle qui se peint aujourd’hui, une posture, une attitude, une extériorité? Est-ce qu’il est bien nécessaire de faire une différence entre une sculpture et une performance, entre une image peinte et une image filmée? Et c’est là, la force de cet ensemble, je crois, son extraordinaire cohérence du point de vue de la qualité et de l’engagement des gens qui le constitue, de même que son immense diversité, par les moyens mis en œuvre, l’extrême variété des techniques, les gestes, les lieux, les objets. Toutes ces œuvres si différentes en soi et qui vont au même but. Cet ensemble n’est pas discontinu, on ne peut pas y lire le glissement d’un art passé vers un art d’aujourd’hui.
Evolution et permanence. Et cela ce n’est pas la petitesse du temps qui le permet, non c’est la cohérence des artistes présents, choisis, montrés. Vingt ans, ce n’est pas rien, surtout par les temps qui courent, surtout dans ces quelques années charnières, les marques d’un monde qui ne peut s’effacer, les traces de tout ce qui reste à venir. Les images seules peuvent témoigner encore de cette diversité et de cette cohérence, de cette qualité.
Après le temps, l’espace aussi m’interroge, comment un si petit
territoire peut-il permettre une telle diversité, un tel changement
d’habitudes dans les pratiques mêmes de l’art ? Et là aussi la réponse
est dans le regard. Il faut bien regarder l’ensemble ici constitué,
avoir la volonté d’y repérer les signes de ce qui peut être l’enjeu de
tout ce répertoire, reconnaître et formuler les bonnes questions sur
l’homme et sur son humanité. Les moyens sont multiples et les pratiques
de la communication actuelle, tout ce qui participe à ce qu’il faut
bien appeler la mondialisation, pourquoi est-ce que les artistes n’en
feraient pas usage. A partir de là, l’éventail est très large, et un
champ artistique tel que défini ici, si restreint soit-il, contient
dans sa diversité, dans son actualité et dans ses exigences, l’ensemble
que pourrait contenir le monde qui lui est proche.
Qu’est-ce que je
vois enfin, puisqu’il faut bien conclure, si ce n’est la curiosité qui
me reste, mon vieillissement aussi, puisque dans leur durée, tant de
choses ont changé?
Nicolas Raboud, commissaire de l’exposition